Escroc cherche professionnel

Encore aujourd’hui, un illustre inconnu a fait irruption dans ma boîte aux lettres pour me demander un devis. Quelques minutes plus tard, une collègue qui avait reçu le même message a lancé un appel à tous sur la liste de notre réseau professionnel pour voir si d’autres avaient aussi été sollicités. Une bonne douzaine de personnes ont aussitôt répondu par l’affirmative. En théorie, la demande pourrait tout aussi bien être légitime; après tout, n’est-ce pas pratique courante que de demander un prix à plusieurs entrepreneurs? Mais dans ce repaire d’arnaqueurs qu’est devenu Internet, comment distinguer le vrai du faux?

Flairer l’arnaque

La présence de certains indices dans le courriel du client devrait déjà vous mettre la puce à l’oreille. Tout d’abord, le simple fait qu’une demande vous vienne d’un inconnu sorti de nulle part devrait d’emblée éveiller votre vigilance. Commencez par examiner l’adresse de l’expéditeur : les arnaqueurs utilisent le plus souvent un service gratuit comme Gmail, Yahoo! ou Hotmail, rarement un service commercial. Si le domaine de l’adresse ne vous dit rien, donnez-vous la peine de vérifier sur Internet. Ne sautez toutefois pas trop vite aux conclusions parce qu’il y a aussi des tas de gens qui utilisent des services de courriel gratuits pour des motifs légitimes. Continuez plutôt votre petite enquête…

Votre interlocuteur vous indique-t-il où il a obtenu votre adresse? Le cas échéant, cette indication est-elle vague ou précise? Le message vous est-il adressé personnellement? Sachez que les arnaqueurs sont des adeptes du publipostage : un message envoyé à des dizaines voire des centaines de personnes commencera souvent par une salutation impersonnelle du genre « Dear Sir/Ma’am ». Regardez aussi où se trouve votre adresse courriel dans l’en-tête du message : si elle est dans le champ BCC (ou CCI), c’est que le message a vraisemblablement été envoyé à un groupe dont vous faites partie. Encore là, il pourrait quand même s’agir d’un message légitime, mais si tel était le cas, n’auriez-vous pas l’impression que votre client se soucie davantage du prix que de la qualité? Il y aura toujours sur Internet des amateurs prêts à faire le boulot pour beaucoup moins cher que vous. Avez-vous vraiment envie de compétitionner avec eux? Personnellement, je passerais mon tour.

Attardez-vous ensuite au niveau de langue du message. L’illustre inconnu auquel je faisais allusion en préambule avait beau s’appeler David Armstrong, il ne m’écrivait pas moins dans un anglais assez approximatif, comme le font presque systématiquement les arnaqueurs de son espèce. Qui plus est, il ne s’était même pas donné la peine de me laisser ses coordonnées. Ça aussi, c’est classique. Un client sérieux indiquerait ses coordonnées complètes dans sa demande.

Bref, comptez un point pour chaque indice que vous décelez et interprétez le résultat : un point, continuez votre enquête; deux points, redoublez de vigilance; trois points et plus, laissez tomber.

Le coup classique

Si tout a l’air en règle, vous aurez peut-être envie de répondre au client et de lui envoyer un devis. Voici alors ce qui pourrait se passer. Premièrement, votre devis serait accepté tel quel, sans aucune négociation. Dès lors, vous apprendriez que votre client se trouve quelque part en Afrique ou dans une autre contrée éloignée de la vôtre. Dans les circonstances, vous lui demanderiez évidemment un acompte pour commencer le travail; mieux vaut être prudent! Votre client accepterait sur-le-champ et vous ferait aussitôt transmettre un chèque par l’entremise d’un tiers, en vous demandant de le prévenir aussitôt que vous l’aurez reçu. À votre grand étonnement, le montant du chèque dépassera largement la somme attendue. Vous communiquerez donc avec votre client pour lui signaler l’erreur. Du coup, il vous apprendra que le contrat est annulé pour une quelconque raison, mais il offrira quand même de vous verser un bon dédommagement pour la gêne occasionnée. Pour simplifier les choses, il vous proposera d’encaisser le chèque et de lui envoyer la différence par un service de transfert d’argent comme Western Union ou MoneyGram. Ravi de la tournure des événements, vous accepterez sa proposition. Mais le temps que la banque s’aperçoive que le chèque est faux, votre tout aussi faux client aura déjà reçu l’argent que vous lui aurez gentiment envoyé, et vous serez tenu responsable de la fraude.

Moralité : n’envoyez jamais d’argent à l’étranger à des gens que vous ne connaissez pas personnellement. Dans 99,9 % des cas, une telle proposition venant d’un inconnu sera purement et simplement une escroquerie.

Faire ses devoirs

En cas de doute, n’hésitez pas à vérifier auprès de vos collègues ou de votre association professionnelle. Ce faisant, vous éviterez peut-être aussi à d’autres personnes de se faire prendre. Faites aussi quelques recherches sur Internet. Il m’est déjà arrivé de retrouver sur Wikipédia le texte intégral d’un article pour lequel un prétendu universitaire béninois me demandait un devis de traduction! Certains sites se spécialisent dans la compilation des courriels d’arnaque; scamdex.com en est un parmi d’autres.

Si malgré tout vous vous faites prendre au piège, n’espérez pas récupérer votre argent. Dénoncez à tout le moins le fraudeur à votre service de police et demandez copie du rapport. Au Canada, vous pouvez aussi porter plainte au Centre antifraude.

Et si vous avez une histoire à raconter, laissez un commentaire ci-dessous. Tout le monde en profitera.

René Morin

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6 thoughts on “Escroc cherche professionnel

  1. Si j’avais lu cet avis plus tôt, je ne me serais pas fait prendre dans un cas semblable. C’est tout le scénario décrit dans « Le coup classique ». Je me méfiais de la cliente, mais après avoir échangé quelques courriels, je lui faisais de plus en plus confiance. L’article (mal écrit) se trouvait textuellement sur un site Web, mais je me disais qu’elle travaillait pour cet organisme et que leur site s’adressait aussi à un public francophone. La cliente disait habiter au Vermont. Elle avait acepté mon tarif sans négocier et remettait toujours à plus tard le moment de me payer. Elle a refusé d’utiliser Pay Pal (elle n’avait pas confiance) et tous les autres modes de paiement que je lui proposais. J’ai traduit l’article de 3000 mots tout en l’avertissant que je ne lui ferais parvenir que lorsque j’aurai été payée en entier. La date de remise de ma traduction approchait et j’angoissais un peu pour remettre un travail de qualité dans les délais fixées. Puis, j’ai reçu deux mandats postaux américains, non encaissables à l’extérieur des États-Unis, totalisant deux fois le montant que je lui demandais. Je n’ai même pas essayé de les encaisser et je ne les ai présentés à aucune institution bancaire ou postale, de crainte de me faire poser des questions. J’ai bien fait. J’ai toujours ces faux mandats postaux en ma possession (faux comme on en voit rarement) et je n’en ai même pas confirmé la réception à la cliente. Elle ne m’a jamais demandé sa traduction. Au final, j’aurai travaillé pour rien, mais le plus important est de n’avoir pas eu de problèmes avec la justice.

    • Bonjour Martine et merci pour votre commentaire. Je parie que votre cliente s’appelait Maria Brown. La situation que vous décrivez (avec les mandats-poste et tout et tout) s’est présentée aussi à une de nos collaboratrices l’été dernier…

  2. J’ai moi aussi reçu ce courriel de David Armstrong. Lorsque par curiosité je lui ai demandé sur quel site web il m’avait trouvé, il m’a dit lexicool, un site qui, s’il peut-être utile à certains traducteurs, ne réfère pas de pigistes. Il parlait aussi du besoin de traduire cet article (sur les relations de travail, je l’ai trouvé sur le site d’une université des É.-U.) pour une conférence sur la conscience. Je lui ai tout de même répondu poliment que j’avais trop de travail et qu’il devrait passer par des sites qui réfèrent vraiment (proZ, E-lance) en espérant ne pas lui avoir fourni d’outils additionnels…

  3. J’ai reçu de ces messages à quelques reprises (au moins une dizaine) – ce que je fais toujours, dans ces cas-là, après avoir fait les vérifications d’usage, c’est de faire un copier-coller du texte à traduire – inévitablement ça se retrouve directement sur Wikipédia! Ensuite c’est de demander à l’interlocuteur des précisions sur le texte, ou le public à qui s’adresse le message – et comme il ou elle parle habituellement très peu l’anglais, impossible d’avoir une réponse intelligente. J’ai aussi eu à vérifier l’adresse au moyen du numéro de téléphone fourni – là aussi, c’est souvent une adresse qui n’existe pas… bref, il faut redoubler de prudence…

  4. J’ai eu Maria Brown (Vermont) comme cliente aussi. Quand j’ai reçu les mandats postaux totalisant 3 fois le montant que je lui demandais, j’ai contacté le Centre Antifraude et j’envoyais tous qu’ils m’ont demandaient: l’enveloppe, les mandats, même le numéro de téléphone (“Maria” m’envoyait des textes sur mon cellulaire, en insistant d’encaisser les mandats a Walmart et comme je faisais comme si je ne me suis pas rendu compte qu’ils étaient arnaqueurs et que je voulais d’être payée, ils me donner d’autres idées pour encaisser les mandats).

  5. En fait, la cliente qui m’a flouée s’appelait Susan Lizzy (Vermont). Elle disait qu’elle avait trouvé mon nom sur le site de l’Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario. Pendant que je travaillais à sa traduction, l’ATIO faisait circuler un avis pour demander à ses membres de se méfier de cette Susan Lizzy. J’avais déjà accepté le travail et je lui donnais le bénéfice du doute. On ne m’y reprendra pas deux fois!

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